Pour toute une génération de Siciliennes et de Siciliens qui l'ont estimé et admiré, Alain Delon restera surtout l'inoubliable Tancredi Falconeri, neveu préféré de Don Fabrizio Corbera, prince de Salina et protagoniste du « Guépard », chef-d'œuvre cinématographique de 1963 réalisé par Luchino Visconti, tiré du roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa.
Un amour réciproque, selon ceux qui l'ont côtoyé pendant le tournage du film de Visconti. Delon s'est parfaitement glissé dans le rôle du fils adoptif du Guépard, c'est-à-dire du véritable fils adoptif de Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Dans le roman et dans sa transposition cinématographique, Tancredi est le neveu du Prince de Salina et le fils qu'il aurait voulu avoir. Il est d'ailleurs explicitement dépeint avec certains traits du véritable fils adoptif de l'écrivain, Gioacchino Lanza Tomasi, lui aussi malheureusement disparu récemment (le 10 mai 2023).
Dans le film « Le Guépard », Delon incarne Tancredi d'une manière très fidèle au texte du roman original. Un mérite dû à la minutie de Luchino Visconti, qui a su définir et diriger chaque détail avec le plus grand respect pour le roman.
« Si nous voulons que tout reste comme c'est, il faut que tout change », est la phrase clé la plus célèbre et la plus durable du Guépard, tant dans le roman que dans le film. Et ce n'est pas un hasard si c'est Tancredi qui la prononce dans le roman, et donc Alain Delon dans le film.
Tout se résume-t-il à cette phrase ? Pour beaucoup, oui, et bien plus encore. Peut-être même trop, car elle enferme la Sicile dans un temps qui ne passe jamais, la condamnant à un destin irrémédiable de retard. Une observation aussi fondamentale que pessimiste, dans la lignée tracée par le grand écrivain.
Dans son visage, dans son caractère, dans ses mots, Alain Delon incarne de manière exemplaire le caractère guépardien de la classe dirigeante sicilienne de toutes les époques : opportuniste, mais d'une certaine manière fatalement fascinante. Delon parvient ainsi à partager le charme du protagoniste tout en incarnant l'antagoniste en un seul personnage romanesque et cinématographique. Il excelle donc à incarner, au final, un oxymore.
Chapeau bas. C'est bien le cas de le dire, en hommage à la nationalité française de l'acteur jamais oublié des Siciliens, du moins ceux d'un certain âge. Un mérite qui revient au texte d'un amoureux de l'oxymore, même dans la caractérisation de ses personnages, comme l'était Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Mais également un mérite, dans le film, dû à la beauté d'acteur d'un grand Sicilien d'adoption, comme Alain Delon.
S'il existe un au-delà, ce sera certainement une belle rencontre entre Alain Delon et Giuseppe Tomasi di Lampedusa, disparu avant la sortie de son roman. Ainsi qu'avec Gioacchino Lanza Tomasi, qui avait toutefois connu Alain Delon de son vivant et avec qui il était resté en contact depuis les premières prises de vue du film en mai 1962 en Sicile.
C'est justement Gioacchino Lanza qui disait, en 2011, qu'Alain Delon était toujours resté admiratif et amoureux de la Sicile. Une admiration et un amour largement réciproques, comme on peut le lire sur les réseaux sociaux en ces heures.